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souvenirs...

16 septembre 2010

Premières années (la guerre)

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Je n'avais que sept mois quand éclata la seconde guerre mondiale.  Elle est donc la toile de fond de mes premiers souvenirs d'enfance : les avions, forteresses volantes et "deux queues",  qui passaient la nuit au dessus de chez nous,  les claquements de la DCA toute proche qui nous faisaient sursauter... Nous couchions au sous-sol par crainte des bombardements, moi dans un petit lit de fer qui avait dû servir à mes soeurs auparavant.  J'étais malade, je m'étais réveillé tout fiévreux, nous étions plongés dans l'obscurité, je m'étais mis à pleurer.  Ma mère était venu à tâtons pour me calmer.
Puis au fil des années d'occupation ce sont nos jeux dans la vieille voiture de mon père immobilisée au garade  devenue notre jouet car on nous y laissait faire ce que nous voulions, les bruits de bottes des Allemands quand ils défilaient, la réquisition qu'ils firent des vélos.  Nous en avions deux mais ils y échappèrent grâce à l'a propos de mon père qui leur fit remarquer en allemand (appris un peu en captivité à la fin de la guerre 14) que c'étaient des vélos de femme, cet éclat d'obus petit mais tombant de haut qu'une de mes soeurs avait reçu sur la tête heureusement amorti par l'épaisseur de ses cheveux mais quelle frousse ! Enfin pour abréger et avant que n'arrive la Libération de notre pays ce souvenir plus particulier : Mes grands parents maternels habitaient à côté de chez nous et j'y allais souvent.  Ils avaient dû héberger quelque temps un officier allemand car leur maison était assez grande avec un étage et ils n'étaient plus que tous les deux à l'occuper. Ils mirent l'Allemand dans une chambre du haut.  Un jour qu'il m'avait surpris chez eux il s'était arrêté devant moi, m'avait passé la main dans les cheveux puis sortant de son portefeuille une photo d'enfant il n'eut pas de peine à faire comprendre à mes grands parents que je venais de lui rappeler son fils.  Il m'avait donné un rouleau de pastilles multicolores que j'avais ramené fièrement à la maison mais en apprenant qui me l'avait donné mes parents ne voulurent pas que j'y touche et le jetèrent.  Qu'avait-il pu me raconter pour expliquer ce geste, je ne m'en souviens plus mais n' importe qui aurait fait comme eux à l'époque.  On disait tant de choses sur les soldats allemands, entre autres qu'ils violaient les jeunes filles et empoisonnaient les enfants.  Je ne pouvait comprendre évidemment et j'en eus du chagrin.   Aujourd'hui que j'évoque ce souvenir resté très précis je me dis  une fois de plus : Quelle saloperie, la guerre !... Cet homme souffrait de l'absence de son petit garçon comme tant d'autres et dans les deux camps et il venait de retrouver à travers moi comme un peu de sa présence.  Plus question de boche, de françouze, seulement un homme et un enfant, l'un en face de l'autre.  Pouquoi m'aurait-il donné un serpent à manger ?...
Mais ce qu'il y eût de pire, de terriblement troublant, c'est qu'il s'en trouva des hommes comme celui là, bon époux, bon père de famille, parmi ceux qui en représailles de sabotages commis dans la région poussèrent à coup de crosse femmes, enfants et vieillards dans l'église d'un petit village les mitraillant jusqu'au dernier avant d'y mettre le feu... exemple parmi d'autres ... " Ah que maudite soit la guerre qui fait faire de ces coups là, qu'on verse dans mon verre du vin de Marsala ..." refrain d'une vieille chanson que chantait mon père. Plus tard lors d'une autre guerre, de l'autre côté de la Méditerranée , j'eus, comme d'autres, l'occasion d'être interpellé par cet aspect assez effrayant que cache parfois la nature humaine. Je devais d'ailleurs en garder la plus grande horreur de la guerre, du fanatisme, de toute violence physique ou morale.
Arriva la Libération, ce fut une explosion de joie en tricolore.  Les femmes et les jeunes filles portaient des robes, jupes ou chemisiers à rayures tricolores, les hommes et les enfants de petit rubans tricolores au revers du veston ou à la chemise.  Tous les drapeaux si longtemps cachés dans les greniers étaient à toute les fenêtres et nous, les gosses, agitions de petits oriflammes de papier.  On se rendait visite entre voisins et amis, nous étions allés tous ensemle à la ville revoir une famille amie de mes parents qu'ils n'avaient pas revue depuis bien longtemps.  Ma mère avait emporté le frichti, mon père avait fait des photos et je me rappelle que tout le monde était heureux. 
On parlait aussi de femmes tondues, trainées dans les rues sous les huées, les crachats et pire.  L'ombre au tableau de ces jours de liesse populaire. Les filles à soldats sont de toutes les guerres mais enfin il y en eut d'autres, tout bonnement victimes du petit dieu aveugle qui n'avait pas choisir le bon camp pour y faire naître l'Amour.  Un homme un enfant, un homme et une femme, même constat.  Que maudite soit la guerre.    

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15 septembre 2010

immédiat après guerre

LouisFromentMoto

La guerre finie, la vie reprit peu à peu son cours normal.  Mon père dût abandonner le jardinage ce qu'il regretta car  toutes ces années de restrictions avaient fini par lui en donner le goût (et aussi le savoir faire) pour reprendre ses affaires. Et pour celà il avait besoin de cette voiture remisée au sous sol et qui servait un peu de débarras.  Je revois ce jour où arriva la dépanneuse pour la tirer de là et l'emmener à la réparation.  Mon père avait endossé cette longue blouse grise qu'on appelait un "pare-poussière" et, une fois les pneus regonflés, s'était mis au volant de la vieille Renault qui n'avait même pas connu le "gazogène".  Tirée par un cable, elle retrouvait le grand jour après toutes ces années et nous, les enfants, la regardions partir avec infiniment de regret...
Vers la fin de la guerre (ou tout de suite après, je ne me souviens plus) eut lieu la "mission" de Notre Dame de Boulogne.  Une grande statue de la Vierge à l'Enfant, debout dans une barque, était processionnée dans toutes les rues et dans la campagne environnante.  Le char était tout fleuri de roses blanches et les petites filles en portaient des courronnes.  Après avoir vécu si longtemps dans l'angoisse et la peur, c'était un élan de ferveur et de gratitude quasi-général de la population. 
Les traditionnelles processions de la Saint-Martin reprirent également.  J'y accompagnais mon père et ça m'impressionnait beaucoup, surtoût les scouts qui faisaient le service d'ordre et formaient une haie d'honneur portant drapeaux et bannières. 

Grand Saint Martin, Apôtre de nos pères,
Nous implorons aujourd'hui ton secours.
Reçois nos voeux, accueille nos prières,
Sauve la France et garde-là toujours.

Ce cantique martinien était chanté à pleine voix tout au long du parcours entre la basilique et la cathédrale et au final retentissait sous les voûtes gothiques de Saint Gatien avant le panégyrique d'usage.
Les affaires (sans guillemets) avaient repris aussi et pour certains la fin de la guerre avait sonné le glas du "marché noir" . Il y eut un peu de chasse aux sorcières pour l'exemple mais il arriva aussi que l'on se trompât de cible ... C'est ainsi que, dénoncé par une lettre anonyme, mon père reçut un jour la visite de deux inspecteurs, révolver au poing s'il vous plait, pour contrôle de son activité. Ce fut pour lui un choc terrible que de se voir suspecté de traffic alors qu'il était du nombre de ceux que la guerre avait ruiné et non le contraire. Les deux sbires fouillèrent partout pendant deux jours. Livres de comptes, classeurs, coffres, tiroirs, armoires, panderies, buffet, placards, tout absolument tout y passa, de la cave au grenier. Ils étaient tombés en arrêt sur une sortie de caisse portée en "don" au nom de Loutil.  Or Loutil était le véritable nom de Pierre Lermite, un ecclésiastique qui faisait édifier à Paris l'église Sainte Odile, patronne de l'Alsace dont il était originaire.  Ayant appelé leur dernière fille de ce prénom, mes parents lui avaient fait don d'une somme d'argent qui pouvait être relativement importante pour l'époque, leur pierre qu'ils apportaient à l'édifice.  Un gros sacrifice j'imagine en ces temps difficiles.  Que ces deux hommes pas spécialement "catholiques" sachent celà avait sidéré mon père.  Enfin convaincus, les deux inspecteurs conclurent qu'il n'était pas un gangster et avait été calomnié.  Ils lui présentèrent quand même leurs excuses et tournèrent les talons sans qu'il ait pu trouver un seul mot à dire, tout pâle et la langue comme du plâtre. Il lui fallut du temps pour s'en remettre.  Qui avait été le "corbeau" ?... On ne le sut jamais ... Jalousie et délation allaient souvent de pair en ces temps là.  Sale époque au demeurant.
Avant de se marier ma mère avait été institutrice libre.  C'était au temps de cette loi dite de "séparation" qui fit au demeurant beaucoup de mal. Intelligente et aimant l'étude elle fut proposée pour l'Ecole Normale où, assurément, elle aurait réussi d'emblée.  Malgré l'insistance de l'inspecteur académique qui alla jusqu'à rendre visite à ses parents dans leur petit village, elle refusa par attachement à ses convictions.  Cette attitude, alors qu'elle était encore très jeune, la caractérise bien : rigoureuse moralement pour elle même comme pour les autres, elle le fut toute sa vie. Avant moi elle avait appris à lire, écrire et compter à mes cinq soeurs, l'une d'entre elles fut capable de lire dans le journal à cinq ans  et il faut croire que la méthode d'antan dans le vieil abécédaire tout rapiécé avec du papier collant n'était pas si mauvaise... 
Je fus donc le dernier petit élève de ma mère avant de faire ma rentrée scolaire en 46.
         

14 septembre 2010

l'école

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Si l'année 45 avait sonné la fin de cette interminable période de guerre et d'occupation, la cloche de la rentrée scolaire ne tinta pas encore pour moi cependant bien que déjà en âge.  Pas question que j'aille à la "communale".  Mon père avait été élevé chez les frères, ma mère avait refusé d'entrer à l'Ecole Normale par conviction religieuse, toutes mes soeurs avaient fréquenté (ou fréquentaient encore) un pensionnat religieux, je devais suivre la tradition familiale et ce n'est donc que l'année suivante que j'entrai au "petit collège"  (primaire) St Grégoire (Avenue de Grammont) comme on disait, parce que dans la continuité il y avait le "grand collège" (secondaire) quai Paul Bert.  On me mit d'abord en classe de 9ème (CE 1 d'aujourd'hui).  Je savais lire, écrire, compter grâce à ma mère mais on me trouva cependant d'un niveau insuffisant de sorte que l'on me fit redescendre en 10ème (CP).  Ce collège offrait aussi l'avantage de prendre les garçons dès la 10ème pour les mener - si tout allait bien - jusqu'au baccalauréat.  Tenu par les Jésuites l'établissement avait sa réputation.
Je devais donc me lever très tôt pour prendre le car et j'étais de retour assez tard car nous avions étude obligatoire. Comme il n'y avait pas de cantine, mes parents avaient dû s'arranger pour que je reste déjeuner sur place, chez la concierge qui réchauffait la gamelle que j'emportai chaque matin et déposais à la loge en arrivant.  Les plus grands, ceux de 7ème (CM2),  étaient admis au réfectoire du "grand collège" de l'autre côté de la Loire où il fallait se rendre à pieds soit une heure de marche aller-retour par tous les temps sous la conduite d'un pion.  J'étais le seul à rester dans l'établissement le midi.  Ceux qui comme moi n'habitaient pas la ville allaient manger chez des parents ou amis.  La concierge était une brave personne qui certainement me rendait ce service de bon coeur car elle fut toujours très gentille me laissant même manger à sa table. Très intimidé au début je devins avec l'habitude plus familier.
Les premiers temps je fus un peu indiscipliné et plusieurs fois puni.  C'était par le fait mon premier contact avec d'autres enfants en dehors de chez moi. Mais je finis par me plier au règlement qui était strict et à prendre goût à ma nouvelle vie d'écolier. Et puis j'avais des camarades de jeu ce dont j'avais beaucoup manqué. En dehors de mes deux dernières soeurs pensionnaires quand elles venaient aux grandes vacances j'avais l'habitude de jouer seul ce qui m'avait rendu plutôt imaginatif.  Je menais des guerres ou expéditions en pays sauvages avec des armes de ma fabrication.  J'aimais construire des cabanes, monter des tentes, confectionner des charettes.  Je puisai largement dans la boite à outils de mon père et avec bouts de bois, de planches, cartons, ficelles qui ne manquaient pas chez nous 'j'en  tirais merveille. J'adorais grimper aux arbres, il y en avait plusieurs dans notre cour qui était grande et favorisait mes ébats mais en même temps m'isolait de l'extérieur, de la rue et des gamins auxquels naturellement j'aurais aimé me joindre. Quand en venait la saison j'escaladais le cerisier pour en cueillir les fruits jusqu'aux derniers, presqu'à la pointe des branches. Mais le tilleul (il y en avait trois en fait mais celui là avait ma préférence) constituait mon repère favori quand il faisait beau.  Assis sur la plus haute fourche, bien à l'abri sous l'épais feuillage, j'y passais des heures le plus souvent avec un livre d'aventures ou un "Bayard" car, dès que je sus lire, je devins un lecteur passionné. J'avais à ma disposition la bibliothèque familiale et "Bayard" bien sûr auquel mes parents m'avaient abonné comme cadeau de Noël.  Je puisais aussi abondamment dans la vieille malle en osier du grenier pour me dénicher de vieilles fringues et me donner plus ou moins l'aspect de mes personnage car je "jouais"  ce que je lisais en fait. 
Ce grenier était aussi une tanière où j'aimais me retirer pour y lire les jours de pluie ou l'hiver quand il faisait trop froid pour grimper dans mon arbre. J'y rêvassais aussi souvent en regardant par la lucarne le ciel par dessus les jardins.  Des oiseaux se posaient sur les ardoises et, immobile, je les observai.  Je ne m'ennuyais jamais en fait.  Ne quittant pas la cour, on me laissait complètement libre en dehors bien entendu de mes heures d'étude.  Mon père était souvent en tournée de clientèle et ma mère très occupée.  Je ne les avais jamais sur le dos.  Je rendais quand même quelques menus services à ma mère notamment pour les lessives.  Je lui sortais les vieilles planches  et les cassais pour le feu qu'on allumait sous la lessiveuse.  Quand il fallait plier les draps elle m'appelait pour l'aider.  Parfois l'hiver ils prenaient en merluche comme on disait (raidis par le gel) alors il ne fallait pas y toucher.  Le rite du pliage m'amusait énormément.

Les promenades dominicales à pieds avec mon père, mes soeurs, parfois mon grand'père mais jamais ma mère étaient des moments privilégiés, de merveilleux souvenirs de ce pays  d'où nous venons tous et qui s'appelle l'enfance. Chemin faisant nous jouions aux devinettes.  A la saison nous allions cueillir les violettes, les coucous dans les fossés de "Roche furet", ramasser des mûres.  L'hiver c'était les glissades sur les grandes flaques gelées dans les chemins en sous bois.  Nous passions presque invariablement devant un chenil d'où montait à notre approche un concert d'aboiements.  Ma mère ne nous accompagnais jamais, ni ma grand'mère, pourquoi ?  La maison ne la retenait quand même pas à ce point. Je pense qu'elle préférait tout simplement nous voir partir avec le père et  qu'elle en était heureuse.  C'était ainsi en ce temps là.  En grandissant ce fut le plus souvent moi seul et mon père qui partions pour ces promenades dont l'habitude nous est restée très longtemps. 

Une fois rentré à l'école, je ne renonçai pas à mes habitudes de jeux à la maison mais appréciais maintenant le fait d'avoir deux trois bons copains que je n'avais pas eu de mal à me faire d'ailleurs contrairement à ce qu'on aurait pu croire d'un enfant assez solitaire et un peu sauvage.  Peut-être parce que je ne cherchais pas à dominer (je n'étais le chef que dans mes batailles ou expéditions imaginaires),  acceptant facilement de faire simplement partie. Il y avait :  Clément avec sa brosse de cheveux  qui était de la campagne, Lecomte, le grand Lecomte qui nous dominait par la taille, le parfait chic type mais qui était asthmatique.  Originaire de Savoie où il retounait aux grandes vacances il nous parlait de ses descentes en bobsleigh. L'air d'ici ne lui valait rien, il lui fallait les hauteurs.  Gyslain du Pontavis dont le père était officier, culotte de peau, une queue de race comme on disait, mais néanmoins pas bêcheur et loin d'être brillant élève. Fouet qui avait perdu une jambe dans l'exode (il était de Normandie) ce qui ne l'empêchait pas de jouer au foot avec nous et même de marquer avec son pilon.  Hun Dang, un Annamite de grande famille, très bon élève. Sallé qui venait du Sénégal où il était né de parents français , imbattable au lancer de javelot ayant été à bonne école.  De Pompignan qui ne fit qu'une année,  déjà solide gaillard blond qui venait de l'île de Trinidad, parlant le français mais avec un terrible accent anglais.  Ses parents étaient de riches planteurs là bas. Il nous faisait rêver en nous parlant de cette île lointaine et tropicale, des champs de cannes à sucre, des rhumeries.  Il était très fort dans tous les activités que nous pratiquions (gym, foot, hand, javelot, disque, barre fixe, anneaux, course, etc..) la part activité de plein air n'était pas du tout  négligeable comme on le voit.  Pour le cross notre "moniteur" (on ne disait pas encore professeur de gym) nous emmenait dans les ruines dont la partie bombardée de la ville se relevait lentement.  Nous avions aussi une "tête d'oeuf", un nommé Bienvenu, les cheveux toujours impeccablement laqués et paraissant sortir d'une boite, indéboulonnable premier en tout.  Une fois pourtant je lui ravis la croix en composition (d'Histoire ou de Français ) deux matières où j'étais régulièrement bien noté et d'avoir "battu" Bienvenu me valut de mon père une petite récompense.

Je fis ma première communion avec les autres enfants de mon âge dans la petite chapelle du collège pour Pâques 47, très simplement, en seule présence de mes parents.  Pas de brassard, ni de costume,  ni d'énorme cierge, nous étions tous simplement en habits de dimanche.  A l'issue de la cérémonie nous eûmes droit à une brioche et une tasse de chocolat.  Nous étions à jeun depuis la veille au soir et cette petite collation était vraiment la bienvenue.       

J'aurais aimé faire partie des "louveteaux" que j'enviais pour leur tenue (je raffolais des uniformes, insignes, armoieries) et les sorties sac au dos.  Pendant les grandes vacances il y avait des camps de plusieurs jours où l'on apprenait un tas de choses utiles : allumer un feu par tous les temps, monter une tente ou une cabane mais çà j'avais appris tout seul (peut être pas tout à fait dans les règles), s'orienter le jour comme la nuit, secourir un camarade blessé, etc... etc... J'avais demandé à mes parents mais ma mère s'y était opposée peut être pour la seule raison qu'elle redoutait de m'en voir revenir avec des angines auxquelles j'étais sujet.

Nous n'étions pas des anges non plus.  Les bagarres étaient fréquentes mais sà se passait discrètement, j'entends hors de vue du pion occupé le plus souvent à arbitrer un jeu collectif.  Certains choisissaient une tête de Turc qu'ils pouchassaient à travers la cour, harcelaient, bousculaient, enfermaient dans les chiottes, quelque chose d'assez déplaisant.  Aller se plaindre au pion ne faisait que discréditer davantage la "victime" d'autant qu'il n'y avait pas de témoin.  J'y fus confronté à mon tour.  Ayant été bousculé et jeté à terre par surprise je me relevai aussitôt et fis front.  Le premier qui s'avança vers moi prit mon poing en pleine figure, tituba et recula,  le nez pissant le sang, battant en retraite suivi de ses complices.  C'était lui le meneur en fait.  Heureusement que  le surveillant avait vu leur manège cette fois.  J'avais été attaqué et par un groupe, je m'étais défendu, seulement je n'aurais pas dû user de mes poings (me colleter oui mais je n'aurais sans doute pas été le plus fort).  C'était à la limite un motif de renvoi.  Mais j'avais un témoin.  Nous fûmes punis tous les deux, mon adversaire et moi, de la même façon et avec la même sévérité, par le très redoutable père-préfet jusqu'où l'affaire était remonté (il y avait effusion de sang !...) .  Je ne trouvai rien à redire à cette sanction, j'en tirai même une certaine fierté.  De ce jour je ne fus plus inquiété par quiconque et le gars en question se rapprocha de moi et on  finit par devenir copain de jeux.

Ce surveillant qui avait plaidé ma cause et envers qui je me sentais reconnaissant eût une autre occasion de me rendre service un jour de plein hiver où je fus terrassé en classe par une fièvre de cheval provoquée par une angine blanche. Tandis qu'on téléphonait à mes parents c'est lui qui me porta jusqu'à sa chambre sous les combles et m'étendit sur son lit de fer. Je commençai presque à délirer mais je pus remarquer  suffisamment cette mansarde d'étudiant pauvre pour la revoir encore aujourd'hui (bizarre n'est-ce pas quand on devient vieux et qu'on oublie des choses proches !) Le plafond en pente était traversé par  une grosse poutre et comportait une lucarne, il y avait un poële au milieu de la pièce, une étagère pleine de livres et, suspendue à un crochet dans le mur, une grande pélerine à capuchon qu'il alla décrocher pour m'en recouvrir. Il avait mis un peu de charbon dans le poële et une bouilloir dessus.  Penché sur moi il m'avait mis la main sur mon front que j'avais brûlant.  Je reviens avait-il murmuré  avant de sortir. Je n'entendis pas se relever le loquet de la porte, ni qu'on entrait, qu'on me soulevait pour me descendre jusqu'à la voiture de mon père qui heureusement ne voyageait pas cette semaine là.  Je ne repris connaissance qu'une fois dans mon lit.

Notre dernière année au petit collège (7ème, soit CM2) se passait sous la houlette de Mlle Laigle qui n'avait rien d'une bergère.  Grande, sèche, au profil impérial, ce nom ne pouvait mieux lui convenir.  Elle tenait de l'aigle tant par son profil que par l'intelligence.  Très sévère bien entendu mais sachant admirablement capter notre attention par autre chose que la crainte.  Et çà c'était le fin du fin en somme.  Il fallait travailler dur car il y avait à la clé l'examen d'entrée en sixième.  En dehors du programme déjà chargé elle trouvait le temps de nous raconter des passages de la mythologie grecque, ses voyages en Espagne qu'elle semblait bien connaitre, nous montrant de beaux livres sur les monuments comme l'Alhambra, la mosquée de Cordou, la Giralda de Séville. Elle nous faisait faire des résumés de lecture (au moins trois livres) dans un cahier que nous devions illustrer de dessins en rapport avec le sujet.  J'avais choisi "Vent de sable" de Joseph KESSEL qui m'avait été offert, "La terre qui meurt" de René BAZIN et "La petite Fadette" de George SAND que nous avions dans la bibliothèque familiale.  Nous apprenions aussi quelques actes de pièces classiques que nous déclamions comme au théâtre, notamment le "Louis XI" de Casimir DELAVIGNE (auteur complètement oublié aujourd'hui) dans la scène où le roi Louis XI confesse ses crimes à François de Paule venu l'assister au château du Plessis-lès-Tours :

Louis :

J'en conviens, j'ai puni.  Non, j'ai commis des crimes.

Dans l'air le noeud fatal étouffa mes victimes,

L'acier les déchira dans un puits meurtrier.

L'onde fut mon bourreau, la terre mon geolier.

Des captifs que ces murs couvrent de leurs murailles

Gémissent oubliés au fond de ses entrailles.

François :

Ah! puisqu'il est des maux que tu peux réparer viens,

Louis :

Où donc ?

François :

Ces captifs, allons les délivrer.

Louis :

L'intérêt le défend.

François :

La charité l'ordonne.  Viens, viens sauver ton âme !

Louis :

En risquant ma courronne !  Roi, je ne le peux pas.

François :

Mais tu le dois, Chrétien !

etc...

Evidemment j'avais visité le donjon carré de Loches qui abrite la célèbre cage de fer du Cardinal La Ballue ainsi que le château du Plessis-lès-Tours. On imaginait ce roi malingre, voûté, cagneux avec son sourire rusé sous son bonnet constellé de médailles pieuses venant narguer dans la pénombre son malheureux prisonnier aidé en celà par une  illustration de notre livre d'Histoire.

Pour la distribution des prix nous eûmes à préparer "les embarras de Paris" (extrait du Lutrin de Boileau)  :

Qui frappe l'air Bon Dieu de ces lugubres cris ?

Est-ce donc pour veiller qu'on se couche à Paris ?

Et quel fâcheux démon, durant des nuits entières,

Rassemble ici les chats de toutes les gouttières ?

etc...

Ma mère qui aimait le théâtre classique s'était chargée de me faire réviser mon texte  et en y mettant bien le ton.

J'avais aimé cette "conduite" pour se rendre au réfectoire du grand collège quai Paul Bert.  Nous n'étions qu'un petit groupe en fait qui traversions ainsi une partie de la ville passant la Loire sur le Pont de pierre bavardant librement, joyeusement quand il faisait beau, engoncés sous nos capuchons quand il pleuvait ou soufflait le vent d'hiver. Il y avait une vieille marchande de plein air au bout de la rue Nationale devant qui nous défilions et dont nous nous moquions lançant à la cantonnade  : Cacahuètes pourries !  Bonbons articulés !  chewing gum mâché ! ... Nous n'étions pas clients et pour cause, nous n'avions pas d'argent dans nos poches et aucun arrêt était autorisé en cours de route.  Elle nous traitait de petits voyous, nous, élèves des "bons pères" !... 

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